Summary: Nous suivrons l'exemple de Pierre

QUALITES D’UN DIRIGEANT,

A L’EXEMPLE DE L’APOTRE PIERRE

On le surnommait Céphas. Petros, en grec. Roc ou pierre. Fut-ce à cause de son tempérament assez impulsif, son caractère fonceur, sa tendance à diriger les autres, sa capacité de créer une entreprise? Entrepreneur, il l’était. Jusqu’à ce que son frère et compagnon professionnel André l'ait mis en contact avec un certain Jésus de Nazareth. Vous connaissez la suite.

C’est alors que commença un processus de transformation pro-fonde. La pierre brute qu’était Simon, se faisait tailler sous l’influence du Maître et sous les coups parfois durs de son en-seignement. Au fil des années, il est devenu un entrepreneur d’un autre style dans le Royaume de Dieu, une pierre taillée pour un ministère qui a fait de lui l’un des pères fondateurs de l’Église.

Apprenons de lui quelques qualités requises pour ceux et celles qui exercent un ministère de direction dans l’œuvre de Dieu. Quand je réfléchis, moi, à son parcours, à son ministère, et surtout au développement de son caractère, je vois six qualités se profiler.

1. OSER L’INCONNU ET PRENDRE DES RISQUES, DANS LA FOI

Matthieu nous relate, au chapitre 14 de son évangile, une expérience vraiment extraordinaire qui en dit long sur la pre-mière qualité de Pierre: il était toujours prêt à oser l’inconnu, quelque chose de nouveau, et à prendre des risques, dans la foi.

La scène nous flanque la frousse. Une tempête féroce s’est abattue sur le lac de Tibériade, et ceux qui connaissent ce phénomène particulier à cet endroit, savent à quel point il peut effrayer même les pêcheurs les plus expérimentés. Quelques disciples se trouvent dans un bateau, ballotté sur les vagues. Soudain, ils voient un homme s’approcher, marchant sur les eaux déchaînées. Certains pensent que c’est un fan-tôme, mais quand ce personnage élève sa voix: «faites con-fiance, je suis, n’ayez pas peur» Pierre n’a plus aucun doute: c’est le Maître. Et il le dit, ouvertement.

C’est déjà audacieux de confesser sa foi dans une telle situa-tion de visibilité réduite et d’anxiété totale, mais il va plus loin encore.

Je ne sais pas ce que vous auriez fait, mais moi, j’aurais atten-du jusqu’à ce que Jésus vienne dans mon bateau. C’est très évangélique ça : accueillir Jésus comme Sauveur et Seigneur. Lui ouvrir la porte. Sans pour autant quitter les lieux. Comme ça on ne risque pas grand-chose.

Pour Pierre, cela ne suffit pas. Lui s’écrie: «Comme c’est toi, Seigneur, ordonne-moi de venir à toi».

Beaucoup de traductions rapportent: «si c’est toi, Sei-gneur…» Autrement dit, Pierre n’est pas sûr. Ou pas encore. Est-ce que c’est vraiment le Seigneur capable de maîtriser la situation effrayante? Qu’il me permette alors de marcher avec lui sur les eaux. Ce qu’il demande serait une preuve, une véri-fication de ce qu’il suppose.

Or, la phrase en grec (e sù eí) peut aussi bien vouloir dire: «comme c’est toi». Du point de vue grammatical, cette tra-duction est préférable(1). Elle donne un sens tout autre. La demande de Pierre n’émane pas d’un doute, mais d’une certi-tude. Ce qu’il demande n’a pas pour objectif de vérifier si c’est vraiment le Seigneur, quitte à constater le contraire, mais de vivre ce que Jésus est en train de vivre à ce moment précis. Marcher comme Jésus marche. Partager la dynamique du Royaume de Dieu qui se déploie devant lui.

Bien sûr, ce qu’il demande est inédit. Les hommes ne mar-chent pas sur les eaux, surtout pas lors d’une tempête. (Ils ne sont pas créés pour cela, ajouteront les théologiens). Or, Jésus le fait. Avec Jésus, c’est possible pour moi aussi, se dit Pierre. Faisant confiance, surmontant sa peur, il ose quelque chose de nouveau, dans la foi.

En plus, il est prêt à prendre des risques. Et les risques, il y en avait. Une fois sorti de la barque, il n’était plus sûr de rien. Tout pouvait lui arriver. Il pouvait se noyer. Malgré cela, il a osé, quitte à vivre un échec, et être la risée de la bande de dis-ciples.

Si Pierre avait demandé conseil aux autres dans la barque, je ne suis pas du tout sûr qu’il eût entendu : «oui, vas-y». Et sû-rement pas : « bonne idée, on y va avec toi ». En général, les gens ont peur de l’inconnu. Ils ne sortent pas de la zone de sé-curité. Faut voir d’abord si ça marche pour Pierre. Et puis, le miracle demandé par Pierre ne semble pas servir à grand-chose. « Faut pas tenter Dieu, mon frère ».

On le fait pour les autres

Voilà une qualité essentielle d’un vrai leader.

Oser l’inconnu.

Imaginer quelque chose de nouveau et oser l’entreprendre.

Aller au-delà des chemins battus.

Sortir des ornières.

Actionner la foi en Dieu contre vents et marées.

Tester de nouvelles possibilités.

Battre en brèche les murs qui s’appellent «on a tou-jours fait comme ça».

Si certains disposent de cette qualité déjà dans une certaine mesure en talent naturel, comme Pierre par exemple, d’autres se l’approprient plutôt par apprentissage et expérience. Dans tous les cas, elle se développe. Chez Pierre comme chez nous, elle doit également être sanctifiée. Mise au service du Sei-gneur, purifiée d’orgueil et d’irresponsabilité.

Cette qualité, elle est importante, voire décisive. Pourquoi? Parce qu’un dirigeant n'œuvre pas pour lui-même, voilà ce qui le distingue d’un aventurier, et d’un égocentriste assoiffé d’acclamations. Il agit pour les autres, confiés à sa charge. Il cherche l’intérêt de la communauté, le troupeau qui a besoin de pâturage. C’est un travail vraiment pastoral. En condui-sant les autres, il suivra, non pas automatiquement des mo-dèles de management dernier cri, sortis de la volonté charnelle des hommes, mais avant tout le Seigneur, berger et batteur en brèche par excellence (cf. Mi 2.12-13).

Rappelons notre appel

Quand nous avons décidé de servir le Seigneur nous avons pris beaucoup de risques. Dans le ministère, rien n’est gagné. On paye un prix, on fait des sacrifices, renonce à une carrière. On s’expose aux moqueries des athées, à l’incompréhension totale de la société, aux plaintes récurrentes des fidèles, et à l’insécurité financière. On risque d’être envoyé dans les en-droits dangereux, dans des Églises difficiles. Sans parler de la persécution qui est une réalité douloureuse pour beaucoup de nos «collègues» dans le monde.

C’est vrai, le pire peut arriver aux serviteurs de Dieu. Mais comme Jésus est là, on peut y aller. Et on y va, effectivement, dès que Jésus l’ordonne.

On connaît la prudence des blessés, les hésitations des gens en échec, le scepticisme des désabusés, la mélanco-lie de ceux qui pensent avoir tout vu, les préjugés des gardiens de la tradition. Ils peuvent être de très mau-vais conseillers. Bien sûr, être téméraire n’est pas un prétexte pour agir comme un aveugle débridé qui ne poursuit que ses propres ambitions.

N’empêche qu’un dirigeant dans l’œuvre de Dieu est invité à tracer un chemin de foi. La foi qui déplace les montagnes. Qui vise l’invisible. Qui imagine le règne de Dieu dans des situa-tions où il semble être totalement absent. Qui agit là où même les sages baissent les bras.

Ce n’est pas toujours évident pour un dirigeant. Je vous souhaite toutes les périodes tranquilles possibles, et le Seigneur nous en accorde, fort heureusement. Mais la tentation est là d’opter définitivement pour un fonctionnement moins hasar-deux, plus sécurisé. Nous la connaissons tous.

Rappelons notre appel : qu’avons-nous fait en prenant l’engagement d’un ministère pastoral, missionnaire ou autre sinon d’oser l’inconnu, dans la foi? Nous étions persuadés que, quelle que soit la situation qui nous attend, le Seigneur est dé-jà là, marchant sur les eaux sans se noyer, maître de la situa-tion. En dépit des risques, et sans calculer les effets collatéraux.

Dans un autre lieu

Ne perdons pas cette qualité. Cultivons-la. Nous en avons be-soin tout au long de notre vie, comme le montre le parcours de Pierre.

Lui a continué à oser l’inédit. Franchir des frontières. Élargir le champ d’action de l’Évangile.

En Actes 12, par exemple. À peine libéré de son emprisonne-ment, Pierre «s’en alla dans un autre lieu» écrit Luc, sè-chement (v.17). À première vue, le récit de Luc donne l’impression que l’apôtre s’éclipse discrètement de la scène de Jérusalem, et qu’il ne joue plus un rôle important dans le dé-veloppement de l’église, sauf encore une fois, lors du concile de Jérusalem (Ac 15).

Désormais, Luc passe de Pierre et la mission auprès des Juifs, à Paul et la mission auprès des nations, disent les exégètes.

Mais moi, je m’intéresse à Pierre.

Il a quitté l’Église de Jérusalem. Cela devait être une décision difficile à prendre. Pendant des années, Pierre a exercé un mi-nistère extrêmement fructueux. Soudainement, un coup de tête, Hérode va assassiner l’apôtre Jacques et emprisonner Pierre. Après sa libération miraculeuse, il décide de ne pas rester. Peut-être que les anciens lui ont conseillé de se cacher tant que le roi Hérode le faisait chercher. Après quoi, il pour-rait reprendre son ministère. La persécution s’annonçait de courte durée. En plus, Pierre et les autres dirigeants avaient déjà fait face à des situations difficiles. Et puis, l’Église avait encore besoin de lui. Que deviendait-elle sans lui ? Les possibi-lités d’évangélisation autour de Jérusalem commençaient à s’ouvrir. Bref, il y avait encore énormément à faire.

Souvent, des pasteurs et des missionnaires, une fois dépassé un certain âge, s’accrochent à l’œuvre qu’ils ont créée, ou aidée à développer. On a tendance à poser ses bagages et de rester, même si le travail est devenu dur, rébarbatif, pour ne pas dire épuisant. À une nouvelle perspective qui s’ouvrirait si on le-vait à nouveau l’ancre pour prendre le large, on préfère tour-ner en rond. Certes, la fidélité et la persévérance sont en soi de bonnes qualités qui sont tout à fait à l’honneur d’un dirigeant. Mais elles perdent leur sens, à mon avis, quand elles devien-nent des prétextes pour accepter, selon les cas, le calme plat ou la guerre de tranchées - «je ne quitte pas mon poste, advienne que pourra». Là, on commence à se sentir indispensable, du moins sur le moment. Et en plus : que faire d’autre? On n’a pas nourri l’esprit entrepreneur, on est devenu craintif face à l’inconnu, et des effets collatéraux.

C’est l’âge, dit-on. On pense ne plus pouvoir apprendre une autre langue. Ne plus pouvoir s’adapter à une autre culture.

Eh bien, Pierre, quadragénaire, presque quinquagé-naire, a osé tout cela.

Il n’a pas attendu jusqu’à ce que la situation se calme pour faire sa réapparition et reprendre son ministère tant béni. Non, il a laissé tout derrière lui pour «s’en aller dans un cer-tain lieu».

Comprenne qui pourra; cette phrase sort directement d’Ézéchiel 12.1-3, où Dieu donne l’ordre au prophète de partir de Jérusalem avec un «équipement de déporté» vers «un autre lieu», à savoir Babylone. En effet, un peu plus tard, Pierre va envoyer une lettre depuis «Babylone»(2). Selon certains, ce nom signifie effectivement la ville de Babylone, d’autres pen-sent qu’il fait allusion à Rome.

Quoi qu’il en soit, Pierre se lance dans une nouvelle aventure, si je puis m’exprimer ainsi. Il entame des voyages mission-naires. Il va servir différentes églises, où il n’a pas de réputa-tion ni de statut, notamment celle de Corinthe(3), celle d’Antioche - pendant sept ans, selon les sources anciennes - et d’autres encore. Finalement, il va arriver à Rome pour y servir l’Église. En 67, il est crucifié, comme le Seigneur l’avait déjà prédit juste après la résurrection, au bord du lac de Tibériade: «Quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te l’attachera et te mènera où tu ne voudras pas», ce qui fut com-pris comme étant un indice « de quelle mort Pierre glorifie-rait Dieu» (Jn 21.18-19)(4).

Survivants de risques

Pour conduire les autres, un dirigeant doit être en mouvement lui-même, prenant fait et cause pour le Seigneur. Oser le che-min risqué, pour le bien d’autrui. À ce propos, j’aimerais citer Klaus Müller, missionnaire allemand et professeur en missio-logie à la faculté de Louvain. Il écrit ceci :

«Dans la mission, il ne s’agit pas tellement d’hommes très forts qui accomplissent beaucoup, mais plutôt de ce que l’on garde les yeux fixés sur les objectifs de Dieu, et de ce que l’on se laisse motiver par l’amour du Seigneur Jésus Christ et par l’amour pour un monde pas encore réconcilié avec Dieu, et de prendre les risques de la foi.

Même ceux qui doutent, sont impliqués dans l’œuvre de Dieu… La plupart des personnes dont on écrit des biographies, sont des survivants des risques…Ce ne sont pas seulement les jeunes, d’ailleurs, qui doivent exercer la foi et qui doivent faire face à leurs limites. Les vieux doivent égale-ment s’entraîner dans le domaine de la foi. Là, il n’y a pas d’intérêt à tirer d’un passé…Pauvre foi, qui ne veut plus tester ce que Dieu veut encore accomplir par elle»(5).

Oser dans la foi n’est pas une garantie pour la réussite. Il y aura des blessures, voire des échecs. Bien souvent, on perd confiance, de peur que l’on se heurte à nouveau à la même pierre, et on a du mal à motiver les autres.

Klaus Müller :

«C’est risqué de conseiller aux jeunes de prendre des risques, quand on a échoué. Mais si l’on a échoué, cela ne veut pas dire que les autres ne devraient plus rien oser. Seulement celui qui est ressuscité des cendres des risques de sa foi et qui constate que Dieu est vivant, et que la promesse de sa présence s’applique encore, est capable d’encourager les autres d’oser, eux aussi, quelque chose de nouveau»(6).

(1) Cf. Blass/Debrunner/Rehkopff, Grammatik des neutestamentlichen Griechisch, Göttingen (Vandenhoeck & Ruprecht), 1984, § 360 et 372. Selon les auteurs, e? suivi d’un indicatif pré-sent signifie, en règle générale une réalité. On doit le traduire par «quand» ou «par conséquent» (implication de ce qui précède). Très souvent, le sens est proche de la conjonction causale «comme» (p.302, § 372, point 1).

(2) Sa première (1 Pi 5.13). Si la date de cette lettre est incertaine, elle doit se situer, de toute évidence entre le départ de Pierre de Jérusalem en 42 apr. J.C. et peu avant sa mort à Rome en 67 apr. J.C.

(3) Ce qui explique l’existence d’un courant « de Céphas » dans cette église, 1 Co 1.12.

(4) Nombreuses sont les reconstructions du parcours de Pierre après qu’il a « quitté » le récit des Actes. Je me suis référé, notamment à Oscar Cullmann, Petrus : Jünger - Apostel - Märtyrer, Munich (Siebenstern), 1960, et, plus récent, Carsten Thiede,Simon Peter : From Gali-lee to Rome, Exeter (Paternoster), 198

(5) Klaus Müller, "Glaube, Risiken und Nebenwirkungen", Evangelikale Missiologie, 2006, n°1, p.3.

(6) Ibid., p.5.